mardi 29 septembre 2009

Le tout nouveau jury populaire japonais


Dans son ouvrage*, Jean-Louis Halpérin évoque le Japon comme le "le pays sans jury populaire". Si cette périphrase était encore pertinente au moment de sa publication (2008), elle est désormais obsolète, puisque le pays du Soleil levant a entre-temps inauguré son saiban-in seido (裁判員制度), qui signifie "système de jury" en japonais.



Cette réforme judiciaire, effective depuis le 21 mai 2009, est le résultat d'une longue procédure de concertations. Le gouvernement s'est penché sur la question à compter du 27 juillet 1999 et a rendu un avis le 26 juillet 2001. Sur la base de cet avis interministériel, un projet de loi fut élaboré puis présenté devant le Parlement. La loi fut adoptée le 21 mai 2004, avec une entrée en vigueur 5 ans plus tard. Au total, il a fallu près de 10 ans pour que la réforme aboutisse.


Tout ce temps a été savamment utilisé pour aménager les salles d'audience, qui doivent à présent pouvoir accueillir 6 jurés à côté des 3 juges. Ces jurés sont choisis parmi les citoyens nippons selon une procédure de sélection à deux tours. Le principe est que toute personne autorisée à élire les membres de la Chambre des représentants est susceptible d'être sélectionnée. Par conséquent, ce sont les ressortissants japonais âgés de plus de 20 ans qui sont visés.

Les exceptions à ce principe fournissent des renseignements complémentaires sur les conditions à remplir : sont exclues les personnes n'ayant pas accompli l'enseignement (public) obligatoire, ou ayant déjà été condamnées à une peine d'emprisonnement, ou encore les personnes atteintes d'une déficience mentale les empêchant de mener à bien le rôle de juré. Il faut par ailleurs ne pas avoir de lien personnel avec l'accusé, ni avoir déjà participé à un jury populaire dans les 5 années précédentes.

En japonais : "je participe avec mon avis, mes sensations et ma parole"
Cette image reflète la diversité des personnes appelées à devenir jurés.


Le Japon a connu jadis un système de jury populaire, instauré en 1923 et supprimé en 1943. Son fonctionnement était basé sur le système américain, en dépit de l'influence juridique exlusivement franco-allemande de l'époque. Toutefois, la procédure présentait une certaine singularité : le juge pouvait redemander l'avis des jurés sur la culpabilité autant de fois qu'il le désirait, au moins jusqu'à ce que le jury conforme son verdict avec sa propre opinion. Cette anomalie procédurale était vue par le pouvoir politique comme un garde-fou contre une prétendue tendance à l'acquittement par les jurés. Mais le système a été victime de son inefficacité, qui a motivé sa suppresion.

Au contraire, dans le nouveau mécanisme, largement inspiré du modèle français (cocorico!), les jurés se prononcent aussi bien sur la culpabilité que sur la peine, et leur avis lie les juges. D'ailleurs, comme à la Cour d'assises française, les juges et jurés travaillent ensemble, et siègent côte à côte, contrairement aux jurés américains qui siègent séparément dans le jury box. La symbolique de cette position géographique vient confirmer l'importance du rôle du juré japonais ou français, qui est en quelque sorte l'égal du juge.

Ci-dessus, le système japonais des saiban-in.
Ci-dessous, le système français de la Cour d'assises.

La ressemblance est frappante.


Toutefois, les systèmes français et japonais diffèrent en quelques points. Par exemple, l'effectif est moindre : seulement 6 jurés japonais contre 12 jurés français (en droit commun). Par ailleurs, en France, le jury populaire intervient seulement à la Cour d'assises, tribunal qui connaît des infractions les plus graves, à savoir les crimes, par opposition aux délits et aux contraventions. Puisque le droit pénal français opère une classification tripartite des infractions selon la gravité, entre crime, délit et contravention, il est donc aisé d'identifier les cas dont la Cour d'assises aura à connaître.


Au contraire, le Japon ne connaît pas de division tripartite des infractions. Il n'y a donc pas de distinction entre crimes, délits et contraventions, et jusqu'à l'instauration du jury, tous les faits étaient traités par les tribunaux dans les mêmes conditions. Dès lors, quels sont les critères qui déterminent les hypothèses où les jurés se joindront aux juges? Une telle délimitation des cas d'application est absolument nécessaire, car, pour des raisons économiques et matérielles incontestables, on ne peut recourir au jury pour juger toutes les infractions.


Cette délimitation apparaît à l'article 2 §1 de la loi de 2004 citée plus haut. Les saiban-in assisteront les juges pour connaître :
  • des infractions punies de la peines capitale, de travaux forcés à perpétuité ou de réclusion à perpétuité (étant donnée l'absence de division tripartite susmentionnée, on peut parler indifféremment de réclusion ou d'emprisonnement); et
  • des infractions graves commises intentionnellement ayant entraîné la mort de la victime et qui doivent être jugées par une juridiction collégiale.
Il s'agit des infractions les plus graves, qui correspondent aux crimes en droit pénal français. Concrètement, il s'agit par exemple des infractions de trahison (envers l'Etat), meurtre, homicide involontaire commis à l'occasion d'un vol, coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner, incendie volontaire, viol suivi de la mort de la victime, conduite dangereuse ayant entraîné un homicide (accident de la route), abandon d'une personne vulnérable ayant entraîné la mort de celle-ci (la liste n'est pas limitative).

Note pour les bloggeurs juristes
La question de la compétence du jury posée à l'envers aboutit à la problématique suivante : le champ d'application des saiban-in va-t-il faire émerger ipso facto une division des infractions en cétagories? L'avenir nous le dira...


* Droit japonais et droit français au miroir de la modernité, Jean-Louis Halpérin et Naoki Kanayama, Dalloz 2008

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