mardi 8 septembre 2009

La tenue des avocats au Japon (I)

A l'heure actuelle, les avocats japonais ne portent pas la robe, contrairement à la plupart de leurs confrères européens. Toutefois, il est possible de repérer les bengoshi ("avocat" en japonais) dans la foule frénétique de la station de métro kasumigaseki, non loin du grand tribunal de district de Tokyo. Un signe distinctif a priori très discret, mais qui ne trompe pas : si un jour votre regard est lui aussi irrémédiablement accroché au scintillement d'une boutonnière, n'en doutez plus, vous avez un homme de loi en face de vous!


Cet insigne, appelé bengoshi-kishô (弁護士記章) est porté par tous les avocats ayant réussi le concours national, à l'exclusion des avocats étrangers exerçant sur l'archipel. En l'examinant de plus près, on peut reconnaître la fleur de tournesol, appelée himawari (向日葵). Il faut absolument prendre garde à la distinguer de la fleur de chrysanthème, emblème de la famille impériale, qui, elle, vient orner la boutonnière des parlementaires. Au contraire, le tournesol, parce qu'il est sans cesse tourné vers le soleil, représente la justice et la liberté dans la tradition japonaise. Cette symbolique est renforcée par l'image occidentale de la balance, qui apparaît en relief dans le pistil au coeur de la fleur, et qui représente les principes d'égalité et d'impartialité.

Dans le langage courant, on parle de badge des avocats ou bengoshi-badji (弁護士バッジ). Cependant, le mot "badge" peut être réducteur pour désigner la décoration, qui est un véritable bijou en argent massif et plaqué d'or sur les pétales. Au fil des ans, l'or a d'ailleurs tendance à disparaître petit à petit, laissant découvrir l'argent qui someille timidement en-dessous. Ainsi, la couleur du métal, plutôt dorée ou plutôt argentée, laisse deviner l'ancienneté du professionnel. Dans une société de tradition conficianiste où autorité rime avec longévité, c'est avec beaucoup de fierté que l'avocat expérimenté arbore son badge dégarni.

Ci-contre : sur la gauche, un badge à la sixième année d'exercice, et sur la droite, le même badge à la trente-cinquième année.
Au début de leurs carrières, les jeunes avocats éprouvent un certain embarras à afficher un pin's flambant neuf qui trahit leur manque d'expérience. Aussi la pratique s'est-elle répandue de ranger le badge dans le porte-monnaie, afin que le frottement avec les pièces accèlère artificiellement l'usure de la fine couche d'or.

Au vu de ce qui précède, nul doute que le producteur pourrait faire l'économie de la feuille d'or, et la répercuter ensuite sur le prix de vente. A ce propos, on peut s'interroger sur le prix d'une telle acquisition... En définitive, un badge est-il moins onéreux qu'une robe de magistrat ? En vérité, le jeune avocat ne débourse pas un yen pour l'obtenir.

En d'autres termes, l'avocat japonais n'est pas propriétaire de son badge. En effet, celui-ci lui est simplement prêté par l'Union des avocats du Japon (nihonbengoshirengôkai, 日本弁護士連合会, souvent abrégé en Nichibenren). Cet organisme national en conserve la propriété exclusive, et le remet solennellement au praticien au moment de son immatriculation. En cas de radiation du registre national des avocats, le praticien est bien évidemment dans l'obligation de retourner le badge à l'Organisation.

Au dos de chaque décoration est gravé un numéro unique, répertorié dans des registres, et auquel est associé le nom de l'avocat détenteur. Ce système vise à contrecarrer les tentatives d'usurpation de titre et réduire le risque de contrefaçon de badge (malheureusement, cela n'empêche pas quelques sites internet de proposer des répliques très ressemblantes).

Ci-contre : le revers du ”bengoshi-badji”, sur lequel apparaît le numéro d'identification, ainsi que la mention "membre de l'Organisation des avocats du Japon" (「日本弁護士連合会員章」).

Les kanjis (sinogrammes) utilisés dans cette formule sont ceux qui étaient en vigueur avant la réforme "orthographique" de 1949.  Cette version est à présent obsolète, et les textes d'après-guerre ne présentent plus que la version moderne et simplifiée. Le recours à cette formulation très ancienne vise ici à donner une certaine solennité à l'objet et accentuer son rôle symbolique.



L'acquisition d'une telle contrefaçon est généralement motivée par les privilèges attachés au statut d'avocat. Ces prérogatives peuvent être la conséquence directe de la loi, comme le droit d'avoir un entretien sans gardien avec son client lorsque celui-ci est détenu dans un établissement pénitentiaire. Ils peuvent également venir des usages : il est courant que les avocats soient dispensés de la fouille de rigueur à l'entrée des tribunaux. Dans les exemples précités, la présentation du badge suffit aux gardiens japonais, trop bien élevés pour demander davantage de preuves sur le titre d'avocat.

Devant ce risque d'usage abusif par des tiers, mieux vaut prendre garde à ne pas égarer ce véritable sésam. Toutefois, il y a beaucoup plus inquiétant pour les avocats en cas de perte du badge. L'article 29 paragraphe 2 du règlement de l'Union des avocats (日本弁護士連合会会則第29条2項) dispose que le port du badge est obligatoire pour les avocats dans l'exercice de leur fonction. A défaut, ils ne sont pas autorisés à l'audience. C'est dire qu'une grande partie de l'activité (lucrative) se trouve paralysée!


Après une déclaration de perte, il faut attendre que le Nichibenren attribue un autre badge à l'avocat étourdi. Ce nouveau badge portera le même numéro que le précédent, à côté duquel sera ajoutée la mention "再1" (sai-ichi, qui signifie "fois 1").



Cette solution de rechange ne suffit toutefois pas à apaiser la crainte d'une perte : certains professionnels s'efforcent de garder le badge épinglé en toutes circonstances pour s'assurer qu'ils ne l'ont pas égaré. La modestie nippone exige toutefois plus de discrétion dans un contexte privé : dans le cadre d'un dîner au restaurant, ou encore une sortie entre collègues dans un karaoke, il n'est pas rare que les bengoshi retourne leur badge pour l'épingler à l'envers.

Finalement, un insigne si petit ne réduit pas les problèmes...
Nous, au moins, nous n'avons pas besoin de retourner notre robe pour aller siroter au casual friday!

Sources:
http://blog.goo.ne.jp/law-yuhara/e/68641b754f893b8342e6d2f1d6df1728
http://www.kantei.go.jp/jp/sihouseido/kentoukai/seido/dai3/3siryo-g-4.pdf
http://akira-sasaki-law.spaces.live.com/blog/cns!EAB05700ACC87C21!159.entry
http://s-bengoshikai.com/lawyerbox/lawyerbox2007.01.29.htm
http://www.kt-law.jp/blog/2008/07/post-3.html
http://bengoshi884.ti-da.net/e2087919.html
http://www.ichikiyo.com/baji.htm
http://kayoudayo.jp/yomimono/machiben/090210.html

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